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Le plaisir d’apprendre

Temps de lecture / Reading time : 6 minutes.

Je suis très en retard sur mon visionnage de films et séries.

Au fil des années, j’ai accumulé nombre de fichiers vidéo (bien entendu empruntés à un ami proche de mon cercle familial immédiat) suite aux recommandations d’amis, à la lecture de listes du type « Les 25 films à voir absolument » ou « les 100 films qui comptent », ou à la disparition des grands écrans d’un film que j’aurai bien voulu voir. A Scanner Darkly, American Psycho, Cowboy Bebop, Paprika, Jacob’s Ladder, Reefer Madness, 12 Angry Men, etc. : autant de fichiers qui prennent la poussière numérique, dans un dossier « A_REGARDER ».
Idem pour les séries : Battlestar Galactica, Community, Firefly, Homeland, Entourage, Misfits, Life on Mars, etc. Combien de premières saisons stockées sur mon disque dur, en attente de visionnage ? Et d’en ramener d’autres, au fil des discussions et lectures sur le Web, en me disant, à la manière de Marc Andreesen au sujet du type MIME des images, « Someday, maybe ». [ref]
Idem pour les livres, surtout depuis que j’ai une liseuse, et que j’entasse donc les classiques (domaine public oblige) afin de me culturer un peu le cerveau.

Je vis pourtant seul. On pourrait donc se dire que je n’ai un peu que ça à faire de mes soirées libres : me caler devant la télé, dans mon canapé, et enchaîner les séries, films et autres Petit Journal et Zapping.

Bon, pour commencer, je n’ai plus de téléviseur chez moi. Le point central de toute distraction en mon logis est l’ordinateur. À la manière du téléphone qui concentre maintenant horloge, appareil photo, lecteur audio, lecteur vidéo, carte, boussole, console de jeux et que sais-je encore (et accessoirement téléphone), l’ordinateur regroupe dans ses entrailles à la fois le rôle de source de distraction, et de zone de travail.

Vivons donc ensemble en soir de semaine libre typique dans ma vie de célibataire fou-fou. Je rentre chez moi, pose mes affaires, et relance l’ordinateur. En attendant de me cuire un peu de subsistance quotidienne, que faire ? Regarder un épisode d’une série ? Noooon…

Car outre le fait que je me suis créé au fil du temps nombre projets auxquels je participe, et sur lesquels je dois avancer (ou du moins, sur  lesquels je voudrai avancer), il se trouve que j’ai du mal à regarder un film seul. Plus globalement, toute activité culturelle (ou « culturelle », n’s’pas…) devrait pour moi être partagée. Série, film (chez soi ou au cinéma), théâtre, musée, visite de monument, etc. : autant de thèmes et idées abordés et qui méritent d’être discutés par la suite — et si possible à chaud. Je n’aime rien moins que d’écouter l’interprétation d’une oeuvre par ceux que j’aime. Et vu que je ne suis pas très malin, ils me font souvent voir une facette que je n’ai pas forcément considérée, voire m’expliquent que je me suis trompé sur l’intention de l’auteur. C’est agréable d’avoir tort et de s’en rendre compte, cela donne l’impression de progresser, de grandir intérieurement, d’apprendre des choses…

Seule exception à cette « règle » d’aller à un évènement culturel accompagné : les concerts. J’en ai vu près de 40 en 2012, dont sans doute la moitié seul. Je n’aime pas forcément cela (notamment le « personne à qui parler » pendant les interludes), mais je veux voir un groupe, il passe UN soir en ville et pas un autre, je prends ma place et je verrai bien si d’autres viennent aussi, personne ?, tant pis, allons-y — alors qu’un film, une expo, une pièce, « oh, j’ai bien le temps de prévoir ça avec un pote ». Du coup, souvent, je ne les vois pas. Hmpf.

Chez moi, seul face à mon écran, j’ai l’Internet tentateur qui me tend les bras dès que je lance une vidéo : si celle-ci n’est pas assez intense, ou même s’il y a une scène pas passionnante, hop, je mets en pause et je vais voir ce qu’il se passer ailleurs (le drame de Twitter et Facebook ; je fais partie d’une nouvelle génération « zapping »…). Je peux bien mettre 2 à 3 heures pour regarder un film d’1h30, à force de pauses et de « tiens, au fait… »

Heureusement que je n’ai pas Internet dans mes livres : j’ai récemment lu Le comte de Monte-Cristo, et Dumas y fait très souvent référence à des faits ou des personnages, réels ou imaginaires, qui me donnent envie d’en savoir plus (ne serait-ce que pour comprendre pourquoi il place cette anecdote). En ayant Wikipédia dans ma liseuse, j’aurai mis dix fois plus de temps à lire cet énorme pavé.

Je ne me faisais donc aucune illusion en cliquant sur le lien de ce tweet :

 Everyone should watch and watch again Feynman’s Lectures on the pleasure of finding things out…

Je clique, puis clique sur le lien pour avoir la liste de lecture en mode « ordinateur de bureau » (lien), et lance la première vidéo. 5 vidéos, 10 minutes par vidéo : aucune chance que j’en vois le bout.

Bon, les 10 premières minutes sont passées, c’était intéressant, continuons sur notre lancée…

Et en fait, j’ai tout regardé d’une traite.

Je ne connais que très vaguement Feynman, et dans cette vidéo de 50 minutes, il nous raconte son parcours, notamment la manière dont son père lui faisait voir les choses et l’a aidé à développer une soif du savoir utile ;  son passage à Los Alamos pour le projet Manhattan ; ses recherches libres qui lui ont apporté le prix Nobel, et sa haine des honneurs ; le fait que l’on ne peut pas tout savoir, et donc sa vision de la question ultime du « pourquoi sommes-nous là ? » et de la possibilité d’une entité supérieure…

Feynman a progressé et est devenu ce qu’il est parce qu’il était curieux, qu’il s’est posé des questions auxquelles il voulait répondre, et qu’il s’en est (et/ou qu’on lui en a) donné les moyens. Sous les aspects d’un professeur grisonnant racontant ses souvenirs de guerre, cette heure de vidéo est passionnante avant tout par ce qui résumé dans son titre, The Pleasure of Finding Things Out : faire la démarche d’en savoir plus, chercher à comprendre pourquoi et comment, se poser une question, toujours. Le plaisir de ne pas savoir. Le plaisir d’apprendre.

Et c’est peut-être ça en fait qui fait que films et séries n’arrivent pas à me tenir en attention plus de 10 à 15 minutes d’affilée : fondamentalement, elles ne m’apprennent rien. Je ne vais pas en ressortir grandi, plus « intelligent » ou avec une meilleure compréhension du monde qui m’entoure. Je n’aurai été que distrait de mon quotidien. Certes, j’aurai oublié le temps qui passe et la solitude de ces soirées passées assis devant mon bureau, mais pourquoi ? Discuter entre midi et deux du dernier épisode « waaaaah ! » de Breaking Bad ? Tant qu’à faire, autant passer le temps de manière utile — et donc, avancer sur mes trop nombreux projets. Les vidéos ? Someday, maybe…

Notez bien que je ne renie pas les films et séries ni ceux qui les regardent. Je sais apprécier les bons scénarios, les traits d’humour et une écriture ciselée, et j’ai moi aussi hâte de pouvoir apprécier ces oeuvres, et pouvoir en parler avec mes amis. Mais une fois rendu à moi-même, j’ai plus de facilité à regarder d’une traite les 45 minutes d’un épisode de Superstructures, que d’en passer 22 sur le dernier épisode de Parks and Recreation. Je suis un mec super ennuyeux pendant la pause déjeuner 🙂

Et je ne peux même pas dire que c’est ma soif de connaissances scientifiques qui me taraude : il y a quelques semaines, j’ai regardé avec fascination « Chasseur de skins », documentaire sur les antifas, recommandé par un collègue :

Du coup, je vais peut-être faire plus attention au tumblr de Joachim, Le docu du jour

En aparté…

Après avoir regardé ces 50 minutes de quasi-monologue auto-glorifiante (oui, ‘faut bien égratigner un peu), j’ai fait une rapide recherche sur les gougueules pour avoir des informations sur cette lecture du professeur Feynman (notamment la version complète que vous voyez ci-dessus, plutôt que la version en 5 parties que j’ai regardée).

Parmi les résultats YouTube se trouve cette courte présentation de Jordan Theriot, donnée lors d’un TEDx à CalTech en 2011 en l’honneur du bon professeur. Le discours est sympathique, rien de transcendant : grosso modo, avoir un bon professeur peut vous rendre une matière passionnante. Si je n’ai rien appris de nouveau, j’admire son enthousiasme, et son courage de parler devant une salle pleine de pairs.

L’expérience vécue par Jordan est positive et mérite sans doute ces 5 minutes… mais j’ai fait la bêtise de laisser mes yeux glisser vers les commentaires. Voici le mieux noté :

That is the hottest researcher I’ve ever seen…nerds these days don’t come with glasses & pocket protectors anymore. My sister works in a lab @ USC and her research center throws parties all the time during which a lot of people get drunk. I’ve talked to some of these people & they’re just brilliant but they also know how to party & the women are just FINE. Makes me wish I was a geek.

Nous avons donc une jeune scientifique (« undergrad » : 18-22 ans) qui nous parle avec passion de ses études et de ce qu’elle veut faire plus tard, et le commentaire le plus en vue peut se résumer à « wow, elle est bonne ». Sans vouloir forcément faire le lien avec une des autres lectures de mon weekend, y’a encore du boulot…

Pour le plaisir, et à la demande de Joachim qui le voulait pour son Tumblr de documentaires, voici le Superstructures sur l’évolution des transatlantiques :

(back2blog, jour 6/10)

2 réponses sur « Le plaisir d’apprendre »

Uhuh… Je viens, ce lundi, de finir de regarder un film (que j’ai beaucoup aimé) dont j’ai commencé le visionnage mercredi ou jeudi dernier. Le bouton le plus usé de ma télécommande est effectivement « pause ».

D’un autre côté, n’étant pas seul ce week-end, j’en ai regardé trois autres, pratiquement d’affilée. Voilà pour le loisir social. Pour le loisir solitaire, effectivement, je suis encore en train de télécharger des documentaires…

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