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Chambre 123

Temps de lecture / Reading time : 3 minutes.

Dimanche. J’arrive à l’hôpital où ma grand-mère est logée pour un examen médical. A l’accueil, je demande son numéro de chambre, et suis dirigé vers le premier étage, chambre 123. Arrivée devant la porte, toc-toc, aucune réponse. J’entre, le silence. Je m’avance, et vois ma grand-mère profondément endormie. Je sors doucement.

– Allo, papa ? Oui, je suis à l’hôpital là, mais le truc, c’est que mamie dort.
– C’est pas grâve, réveille-la, elle m’a dit que ça lui ferait très plaisir de voir un de ses petits-fils, vas-y.
– Euh, oui, mais, euh, elle dort, quoi, j’vais pas la réveiller. Elle va être dans le cake pendant dix minutes. Je vais plutôt attendre qu’elle se réveille, j’ai un truc à lire et…
– Mais non, ne t’inquiète pas, elle est sûrement juste en train de fermer les yeux pour se reposer, tu lui touches la main, tu l’appelles, c’est bon, ça va lui faire très plaisir.
– Je, euh, bon, ok.

Je retourne devant la porte 123. Je frappe, plus fort que précédemment. J’entre, même silence. Je ne vois que les yeux, le front et les cheveux de là où je suis, le reste du visage est caché par couverture, mais elle me semble effectivement profondément endormie, le dos tourné à la fenêtre. « Mamie ? », tente-je. Pas un mouvement. La couverture se soulève de manière légère et régulière. Je reste planté là, au milieu de la chambre, à regarder les perfusions et le moniteur. Un ange passe.

Bon, tant pis, je sors, désolé papa, mais moi je ne réveille pas les grand-mères endormies, surtout malades. Je descends à la salle d’attente, et je sors mon paquet de feuilles imprimées à relire et annoter. Je me dis qu’une demie-heure devrait suffire.

Bon. Un quart d’heure se passe, je trouve un peu le temps long. Je me décide à user d’une technique sournoise. Je compose le numéro direct de la chambre de ma grand-mère, que m’a donné mon père au cas où je ne pouvais pas passer la voir. Le téléphone sonne trois fois. Putain je la réveille, bordjel…

– Allo ?
– Allo, mamie ? C’est Xavier.
– Oh, bonjour Xavier, ça me fait plaisir de t’entendre ! Didier m’a dit que tu vas passer cet après-midi ?
– Oui, justement, voilà, c’est pour ça, j’arrive pour te voir, je serais là [rapide calcul, ça met combien de temps à sortir de l’endormissement et s’habiller, une grand-mère malade ?] dans environ 10 minutes.
– Oh, très bien, très bien, je suis contente ! A tout de suite !
– A tout de suite !

Xavier, t’es une grosse merde. Réveiller sa grand-mère, quoi. Avec une horrible sonnerie du téléphone, en plus, sûrement. Elle aurait préféré une main sur l’épaule et être appelée doucement, c’est sûr. Oui, mais là, elle a le temps de se réveiller et de se faire coquette, comme elle aime tant l’être. Rhâh…

Je range mon téléphone portable et retourne dans la salle d’attente. Au bout de dix minutes, je remballe les feuilles imprimées et monte l’escalier vers le premier étage. Chambre 123, j’entends la télévision qui tourne, nickel, elle est réveillée. Je frappe, rien. Elle a toujours été un peu sourde d’oreille. J’entre et m’avance.

– Bon… [tiens] Euh, bonjour.
– Bonjour.

Je regarde son visage. Son problème actuel aurait-il pu lui changer les traits ? Noooon, c’est ridicule. La nourriture de l’hôpital, peut-être ? Le réveil trop difficile ? Le coussin trop dur ?

– V… Vous… Vous n’êtes pas ma grand-mère… [si ? non ? peut-être ? sans opinion ?]
– Ah non, ça je ne crois pas.

Je m’avance, au cas où. Ce sont les mêmes cheveux, ça ok. Mais le reste…

– Je…
– Ca ne fait pas longtemps que je suis dans cette chambre, peut-être vous a-t-on donné le mauvais numéro.
– Euh, je, peut-être, je vais vérifier… Mmmmerci. Bonne journée.
– Bonne journée.

Je recule de quelques pas. Je réfrène l’envie de demander « vous êtes SÛRE que vous n’êtes pas ma grand-mère ? », et redescends à l’accueil.

– Excusez-moi, peut-être y a-t-il eu une erreur, la personne dans la chambre 123 ne semble pas être ma grand-mère.
– Ah ?
– Euh, oui. La chambre de madame Borderie, s’il vous plaît.
– [farfouille son Rolodex] C’est la chambre 103. Au premier étage.

Putain le boulet. 123, 103. Gn.

Penaud, je remercie la secrétaire et remonte l’escalier, chambre 103. Je toque, j’entre. Ma VRAIE grand-mère est installée sur un fauteuil, près de son lit encore fait – elle n’a probablement pas dormi de l’après-midi. Elle m’accueille avec un grand sourire. Ca fait plus de dix minutes qu’elle m’attend. Rattrapons ce temps perdu.