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Vote on the Rocks et les concerts à messages

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Ce dimanche soir je suis allé aux concerts sous la bannière « Vote on the Rocks », organisés avant tout par Kémar Gulbenkian de No One Is Innocent, et réunissant plusieurs groupes de rock dans l’idée de rappeler que voter est plus que jamais important (dixit Kémar : « voter peut gravement nuire aux sales idées ! »).

Les groupes réunis ne sont pas les moins importants de la scène française, ni les moins politisés :

  • The Hyènes, projet parallèle de Denis Barthes et Jean-Paul Roy, respectivement ex-batteur et ex-bassiste de Noir Désir ;
  • Deportivo
  • Eiffel
  • No One Is Innocent
  • Les Fatals Picards
  • Têtes Raides

C’était tout bonnement excellent : j’y allais principalement pour Eiffel que j’aime beaucoup, mais les prestations de No Is Innocent et surtout Deportivo m’ont enthousiasmé, tout comme ils ont retourné La Cigale avec tout l’esprit d’un bon concert de rock, sueur et hurlements.

Comme il se doit, j’ai filmé quelques titres, et j’ai diffusé aussitôt celui qui reste le plus actuels malgré son âge : L’Iditenté, à l’époque une collaboration entre Têtes Raides et Noir Désir, et ce soir sur scène les Têtes Raides étaient accompagné de Soan (ce me semble) — j’attendais ce titre et me demandait si Bertrand Cantat allait faire une apparition pour l’occasion, étant par ailleurs très proche des Hyènes (forcément) et d’Eiffel. Non, et tant mieux sans doute : les potentiels articles du lendemain auraient surtout parlé de ce « retour » que du message qu’il fallait faire passer.

Mais justement, le message. J’ai annoncé sur Facebook que j’allais à ce concert (je suis beaucoup plus politisé sur Facebook que je ne peux l’être dans la vie ou sur Twitter ; sans doute un besoin de transmettre certains messages à une tranche différente de mon entourage), et j’ai reçu le commentaire suivant :

Mouais, je suis sceptique sur le « ah bah je vais voter parce qu’un chanteur me l’a dit dis donc ». Si le citoyen a besoin de ce détour, c’est inquiétant. Dans l’antiquité « On reconnaissait le citoyen à ce qu’il avait part au culte de la cité, et c’était de cette participation que lui venaient tous ses droits civils et politiques. Renonçait-on au culte, on renonçait aux droits. » dixit le TLF. Maintenant moi jdis ça, jdis rien.

J’ai pris le temps de répondre, et je me suis dit qu’il serait dommage que cela reste confiné aux murs de Facebook. Dont acte :

Il est évident que ceux qui comme moi sont venus à ce concert savaient déjà l’importance de voter avant même de prendre leur place. Moi ni personne d’autre n’est venu pour écouter un chanteur nous conter l’importance de voter aux prochaines élections — même si ce fut le cas, évidemment, mais c’est très accessoire : autant prêcher un convertit.

L’intérêt de réaliser une telle soirée, et d’en faire un succès (la salle était comble, les concerts excellents, le public enthousiaste), c’est de faire parler. Du succès de l’évènement, de l’importance des groupes acceptant de participer, découle une possibilité de faire parler de soi dans les médias, au pire par un court filet annonçant l’évènement, au mieux par des interview, voire des journalistes sur place, et avec de la chance une diffusion demain pendant 15 secondes au journal de 20h. La cible première, ce ne sont pas les spectateurs, ce sont les médias — et à travers eux les non-votants. L’idée, ce n’est pas de prêcher sa paroisse, c’est de faire passer le message aux absents qui ont baissé les bras politiquement mais qui se sentent encore l’âme « rock ».

Un concert caritatif sert rarement à convaincre les spectateurs de changer leurs idées, mais avant tout à ce que les médias parlent dans leurs pages de la cause défendue. Les Solidays, les concerts de Enfoirés, les Tibetan Freedom Concerts, les Live Aid : l’un des principaux objectifs de ces festivals est de dire « N’oubliez pas ! », et de faire en sorte de voir son message repris par les médias, et lu par le plus grand nombre. Telle est notre société, et le jeu qu’il faut jouer.

En 1999, j’étais allé à Amsterdam pour participer au Tibetan Freedom Concert, monté depuis plusieurs années par Adam Yauch des Beastie Boys pour défendre la cause tibétaine, et cette année organisée sur 4 continents. J’y allait bien sûr principalement pour Thom Yorke, chanteur de Radiohead qui faisait un petit set acoustique accompagne de Jonny Greenwood, mais il y avait nombre d’autres excellents groupes à voir (Garbage, Ben Harper, Joe Strummer, Alanis Morisette…).
A la fin du concert, me dirigeant avec mon groupe de fans de Radiohead vers ce qui allait être une nuit compliquée, j’ai croisé une journaliste qui posait des questions aux spectateurs qui ressentaient le besoin d’exprimer leur joie d’avoir pu voir leur groupe préféré. Au moment où je passais, elle posait la question « En quoi pensez vous que ce concert a aidé la cause du Tibet ? » Voyant que les réponses étaient faiblardes et me sentant inspiré, je me suis approché et lui ai dit directement (je paraphrase et idéalise, bien évidemment)  « Cela dépend de vous. C’est vous qui aurez un impact sur la cause du Tibet, en fonction de la manière dont vous écrirez votre article sur cet évènement. Quel angle choisirez-vous ? Mentionnerez-vous la cause du Tibet à vos lecteurs ? Ce sont les médias et leurs reportages qui auront un impact, nous nous n’avons fait qu’écouter de la musique. »
Sur le coup je n’étais pas peu fier de moi, et me rappelle m’être éloigné dès ma phrase terminée, ambiance cowboy. Mais de ressortir le même argument presque 15 ans après, je suis content d’être toujours aussi peu dupe sur le rôle des médias. Et je m’arrête là car je me donne l’impression d’être un donneur de leçons.

C’était une excellente soirée avec des très très bons concerts (bien que trop courts, avec des intermèdes trop longs). Et toi qui me lis et qui reste indécis ou a baissé les bras : va voter.