J’imagine que nous faisons tous attention aux motifs de nos vies, ces répétitions que l’on se croit seul-e-s à voir/entendre, jusqu’à se demander si elles ont un sens.
Ok, donc ça c’était l’intro bidon (et sans LLM), passons au coeur du sujet : les chansons qui ont eu plus de succès une fois qu’elles ont été remixées — et moi de me demander si les artistes en sont tristes, ou satisfaits1Bon, vu le chiffres de ventes/diffusions des remix, gageons que la satisfaction pécuniaire est là, ou du moins que la tristesse trouve sa compensation. Ah mince, je viens de répondre à ma question principale pour cet article ! Bon, mettons que vous n’avez rien vu.… et surtout, donc, si un motif se détache parmi ces remix.
Voici quelques exemples entendus ces dernières années.
Il y en a bien sûr moult autres, mais c’est mon blog, oh.
Asaf Avidan & the Mojos
« Reckoning Song »
Reckoning Song est une chanson folk touchante créée par l’artiste Asaf Avidan et son groupe The Mojos. La tessiture de voix d’Avidan est très particulière : rauque, aiguë, comme arrachée à la gorge — un de mes collègues de l’époque PrestaShop, cherchant à décrire son chant, m’avait dit qu’il chante « comme une vieille femme ».
Le single et l’album se vendent bien dans leur Israël natale, et correctement en Europe. Ils sortent deux autres albums, puis le groupe se sépare en 2011, Avidan se lançant en solo.
Le DJ allemand Wankelmut s’empare du titre (et change le titre, devenant « One Day » pour tout le monde), l’accélère, rajoute une section rythmique (basse + batterie), quelques effets sur la voix… et c’est le succès dans toute l’Europe, en étant numéro 1 des ventes dans de nombreux pays.
Phoebe Killdeer & The Short Straws
« The Fade Out Line »
The Fade Out Line est une chanson bluesy envoûtantes créée par l’amie Phoebe Killdeer, avec un riff parfait apporté par la guitare du français Cédric Le Roux, et un texte coécrit avec Craig Walker2Selon moi le meilleur chanteur d’Archive, mais je digresse….
Ce morceau est la pièce maîtresse du second album du groupe Phoebe Killdeer & The Short Straws, intitulé Innerquake, et en tout objectivité je vous le recommande si vous aimez le blues-punk sombre et enfumé.
Le DJ français The Avener s’empare du titre (et change le titre, devenant « Fade Out Lines » pour tout le monde), l’accélère, rajoute une section rythmique (basse + batterie), quelques effets sur la voix… et c’est le succès dans toute l’Europe, en étant numéro 1 des ventes3Ça doit faire tout de même faire mal aux fesses quand Wikipédia parle de ta chanson en ouvrant d’abord sur le mec qui l’a remixée, et avec le mauvais titre… dans certains pays.
Je disais quoi déjà à propos des motifs ?
Lilly Wood & the Prick
« Prayer In C »
Prayer in C est une complainte langoureuse du duo français Lilly Wood & the Prick, portée par la voix râpeuse de Nili Hadida et la guitare claire de Benjamin Cotto — et une flûte.
Le DJ allemand Robin Schulz s’empare du titre (et ne change pas le titre, ouf), l’accélère, rajoute une section rythmique (basse + batterie), quelques effets sur la voix… et c’est le succès dans toute l’Europe, en étant numéro 1 des ventes dans de nombreux pays.
Je… Euh… Motifs !
Isabelle Pierre
« Le Temps Est Bon »
Le Temps Est Bon est une balade insouciante chantée par l’artiste québécoise Isabelle Pierre et écrite par Stéphane Venne. Venue directement du post-Summer of Love américain canadien4Elle a été écrite pour le film Les mâles, une comédie dans laquelle deux hommes qui ont fui la société décident de combler leur manque de présence féminine… en kidnappant une jolie infirmière du village voisin, par ailleurs fille du chef de police, provoquant recherches et rencontres de personnages hauts en couleur., l’original est aujourd’hui une chouette chanson de début de soirée.
Le DJ franç… non, ce serait trop simple 🙂
Chanson québécoise sur le thème du trouple, elle a été « retrouvée » en 2010 pour le film de Xavier Dolan (québécois également), « Les Amours imaginaires »… lui-même sur le thème du trouple5trouple \tʁupl\ masculin (Famille) Couple à trois..
Deux ans plus tard, le DJ malouin6« Ni Français, ni Breton, Malouin suis », telle est leur devise 🙂 Degiheugi7Jérôme Vildaer, dont l’alias initial était DJ E-J. Maintenant vous arrivez mieux à prononcer son pseudo. propose un remix créatif, reconstruisant notamment le fredonnement de l’intro, en faisant de la chanson un tube des dancefloors.
Et ça cartonne pendant ses concerts, et sur les radios ! Degiheugi l’ajoute donc à son album Dancing Chords And Fireflies, sorti en 2012.
Sauf que.
Sauf qu’il n’a pas les droits pour en faire un usage commercial. Et les p’tits gars de Bon Entendeur, eux, ont fait les démarches pour les avoir, ces droits8On peut admirer l’effort : « A l’été 2018, le manager du groupe fonce au Québec, y retrouve la piste de Stéphane Venne et surtout celle d’Isabelle Pierre (via l’annuaire !) aujourd’hui représentée par un ayant-droit. Un accord est alors trouvé entre les parties pour exploiter la chanson, caution financière à l’appui. » (20 minutes). En effet, depuis janvier 2014, presque tous les mois, le duo sort des mixtapes avec une personnalité en « thème » principal9Dont DSK, Chirac, Rhabi, Beigbeder, … Parfois une certaine vision de la France, quoi. et c’est sur la Summer Mixtape de 2017, illustrée avec Omar Sy, que le public découvre Le Temps Est Bon, présentée comme « leur » chanson10La setlist indique « 12:16 – 15:55 : Bon Entendeur – Le Temps Est Bon ». Aucune mention d’Isabelle Pierre ici, alors que toutes les autres chansons sont correctement attribuées. Y’a sûrement une raison valable, hein..
Leur remix est moins créatif que celui de Degiheugi côté sampling, mais propose une jolie réorchestration du titre, sorte de « mise à jour » de la chanson qui fonctionne moins pour le dancefloor et plus pour l’apéro.
Et la maison de disque de Bon Entendeur s’assure de garantir les droits de diffusion : la version « Remaster » de Dancing Chords & Fireflies, sortie en 2021, ne contient plus le remix, et l’EP « Le temps est bon – Remix » est tout simplement supprimé des catalogues.
Degiheugi est un peu dég’11Pun intended. :
Tout comme le single sorti en 2012, cet EP fut retiré de la vente lors de la sortie d’un remix d’un collectif de DJ et le rachat des droits du sample original par Sony, et une belle chasse au sorcière pour effacer toute trace de ce titre, et ainsi faire oublier qu’ils avaient bien piqué cette belle idée…
Site officiel de Degiheugi (archive)
On trouve en ligne des références à ce « pompage », soit sarcastiques (archive), soit plus factuelles (archive sans les vidéos). À chacun-e de choisir son camp…
A priori pas de succès international ni même français cette fois, mais le titre reste près de 60 semaines dans le Top 200 français, avec une pointe à la 58e place pendant l’été 2019.
Et Bon Entendeur, comme de bien entendu12Hoho !, de faire la tournée des festivals pendant les étés suivants — et de revendre les droits pour des publicités TV.
Matt Simons
« Catch & Release »
Revenons à l’apaisement…
Catch & Release est une chanson méditative de l’américain Matt Simons, sur le fait de prendre du recul sur les déboires de la vie, et trouver « son » endroit, là où l’on peut être soi, en paix. Le refrain nous parle de laisser vivre les moments qui nous touchent au quotidien, à la manière de la pêche sportive13Kamoulox..
Accompagné d’une rythmique chaloupée14Vous aussi vous vous attendiez à entendre Laurent Voulzy au début ?, on se croirait déjà sur un bateau, voguant vers une île isolée15C’est d’ailleurs l’imagerie du clip, je ne suis pas allé chercher l’idée bien loin.…
Bon, vous connaissez la musique16Hoho !: DJ qui passe par là, accélération, boum-tsi-boum, paf succès.
Cette fois, c’est le duo de DJ néerlandais Deepend qui s’empare du titre (et ne change pas le titre, dingue), l’accélère, change la section rythmique, met quelques effets… et c’est le succès dans toute l’Europe, en étant numéro 1 des ventes dans de nombreux pays.
Deepend’s remix of Matt Simons’ « Catch & Release » song has become the second most played song on Dutch radio in 2016.
Page Wikipédia de Deepend.
Bien.
Pour la bonne bouche, j’ajoute une reprise, qui précède d’ailleurs le succès international du remix de Deepend : en 2015, Julien « Voicycle » Muller, « evercycling gypsy troubadour » allemand installé à La Rochelle17Où il joue sur le port et chante lors de mariages, quand il ne parcourt pas l’Europe à vélo ou produit ses propres chansons. reprend la chanson de Matt Simons à la guitare, en faisant de belles harmonies avec l’allemande Lina Brockhoff, au piano pour sa part18Peu visible sur la vidéo, mais le piano est bien là. Il est plus visible sur cette autre reprise du duo..
Pour le coup la chanson est ralentie (71 BPM au lieu de 87), et les harmonies sont beaucoup plus jolies que sur l’original, je trouve — notamment la note tenue sur « …and find how faaaaaar to go…« .
Pas de succès international pour eux deux hélas, mais leur version mérite largement d’être écoutée et partagée. Dont acte.
Bien sûr, je pourrai continuer sur plusieurs pages19Au moins trois deux ! 20Par exemple, « I Follow Rivers » de Lykke Li, « Tom’s Diner » de Suzanne Vega, « I Took a Pill in Ibiza » de Mike Posner, « Lights » d’Ellie Goulding, etc.. Mais stoppons là notre étude.
Les plus attentifs parmi vous n’auront cependant pas manqué de noter l’absence d’un titre très précis.
Un titre dont tout le monde connaît le remix au point d’avoir oublié même l’existence de l’original.
The Mother of All Success Remixes.
🥁🥁🥁
Je parle bien sûr de « Missing », du groupe anglais Everything But The Girl.21Et non, désolé, pas « Professional Widow » de Tori Amos, sorti en 1996 et remixé la même année — avec l’approbation d’Amos — par Armand van Helden. Car, bon, je ne l’ai jamais vu comme un remix, plutôt une création originale de van Helden sur laquelle il a collé des samples de Tori Amos pour remplir le contrat. Meh.
It initially did not achieve much success until it was remixed by Todd Terry and re-released in 1995, resulting in worldwide success, peaking at or near the top of the charts in many countries.
Page Wikipedia de la chanson « Missing »
Sauf que c’est typiquement l’exception qui infirme la règle que j’ai mise en place pour cet article : le remix de Todd Terry a strictement le même tempo que l’original, 123 BPM… au point qu’ils ont même pu réutiliser le clip vidéo de l’un pour illustrer l’autre 🙂
Donc, ne l’incluons pas dans notre tableau.
Tableau ? Oui, car tableau il va y avoir. Lisez donc…
Les conclusions
que l’on peut en tirer
On notera que l’un des points clefs des remix sus-cités, outre le boum-tsi-boum de bon aloi, est le tempo du remix : celui-ci a un BPM22Beats Per Minute, ou Battements Par Minute. Comme votre coeur, oui. N’oubliez pas de dire à vos amis que vous avez trouvé cette info sur un blog culturel. plus rapide que l’original.
Faisons, donc, un tableau comparatif.
| Titre | BPM de l’original | BPM du remix | Différence de BPM |
| Reckoning Song / One Day | 104 | 119 | +14.42% |
| The Fade Out Line / Fade Out Lines | 104 | 119 | +14.42% |
| Prayer In C | 94 | 123 | +30.85% |
| Le Temps Est Bon | 82 | 98⨓ | +19.51% |
| Catch & Release | 87 | 105℘ | +20.68% |
| Moyenne | 94,2 | 112,8 | +19.74% |
⨓ : Le remix « officiel » de Bon Entendeur, pas le remix initial de Degiheugi.
℘ : Le remix de Deepend, pas la reprise de Julien Muller & Lina Brockhoff.
Deux remarques mineures :
- Égalité totale entre Reckoning Song et The Fade Out Line, j’en suis le premier surpris. Les motifs, tout ça…
- Prayer In C a été accéléré de plus de 30% ! ‘faut dire que la chansons originale est vrrraiment lente, et le remix est le plus rapide de notre liste.
Et une remarque majeure : partant de ce postulat, on peut stipuler qu’en prenant n’importe quel titre un peu folk/lent, en l’accélérant et en ajoutant du boum-tsi-boum, on peut créer un tube national, voire international — et ce faisant, relancer la carrière d’un groupe en quête de succès23Ou lui voler la reconnaissance qui lui est due, c’est selon..
Mais il y a certainement une science de l’accélération et du boum-tsi-boum… Fondamentalement, en changeant le tempo, on change le genre musical, le meilleur exemple étant sans doute la bossa nova, qui est « juste » de la samba détendue24J’adore le fait que « Bossa Nova », « New Wave » et « Nouvelle Vague » sont un même nom pour des formes artistiques très différentes. C’est d’ailleurs toute la blague du groupe français Nouvelle Vague, qui initialement reprenait des morceaux de New Wave à la manière de chansons Bossa Nova, avec différentes chanteuses — dont la Phoebe Killdeer sus-nommée. Quel blog culturel, tout d’même !.
En l’occurrence, pour avoir du succès et devenir un hit des dancefloors, il faut apparemment (selon notre tableau de mesures) monter au-dessus de 120 BPM, et donc que le remix tienne de la dance music, du disco ou de la house music.
La house est un style musical au tempo relativement rapide. Les tempos standards de la dance moderne sont moins élevés, généralement entre 118 et 135 BPM — à peu près 10 BPM de moins que le disco.
Page Wikipédia sur la House music
On voit clairement que les artistes qui ont remixé Asaf Avidan & the Mojos, Phoebe Killdeer & the Short Straws et Lilly Wood & the Prick visaient les dancefloors25Je n’ai aucune assurance sur le fait que remixer un groupe avec « & » dans son nom puisse forcément aboutir à un succès international, notez., avec un BPM oscillant entre 119 et 123 — ce dernier étant accessoirement le même BPM que le titre « Missing » de Everything But The Girl, tant l’original que le remix.
Ceux derrière Le Temps Est Bon et Catch & Release, entre 98 et 105 BPM, visaient plutôt le début de soirée et le cocktail de mariage.
Nous avons donc la recette d’un succès imparable :
- Dégotter une chanson peu connue voire oubliée26C’est plus facile pour obtenir les droits…, avec une ligne vocale plutôt sympa et accrocheuse (un « hook« )27Dixit WP : « Une accroche est un motif utilisé dans la musique populaire ». Motif ! On y revient : it’s patterns all the way down..
- Idéalement, il faut une chanson avec l’orchestration la plus légère possible, histoire que l’on puisse facilement l’éliminer et la remplacer par la sienne propre. Donc, sans doute de la folk, un truc guitare-voix ou piano-voix un peu lancinant…
- Accélérer son tempo jusqu’à 100 voire 120 BPM, grosso modo et selon le bon sens de l’oreille qui remixe.
- Rajouter le « boum-tsi-boum », nécessaire motif (…) rythmique — bien calé sur le temps, en bon « four on the floor » 28Un blog culturel, je vous dis !.
- Mettre quelques effets à gauche à droite.
- Et voilà !
Il y a d’autres détails, mais je pense que nous avons là l’essentiel.
Poussons le bouchon
un peu trop loin
Dans une vidéo récente29Oui, je fais une veille sur la rédaction technique, et parfois je retiens des idées., j’ai entendu la phrase suivante :
Once you recognize patterns, you can repeat them. (…)
Jordan Miller, lors de sa conférence « How to Find the Write Rhythm for your Software Composition » pour Clojure/conj 2023 (à 8’05).
Pattern recognition is how we learn as humans.
Supposément, donc, ayant reconnu ce motif de « je trouve un titre lent, je l’accélère, je lui ajoute du boum-tsi-boum et quelques effets » pour parvenir à un tube, on devrrrrrrait pouvoir facilement avoir de l’or en barres entre nos oreilles.
Facile. Fingers in ze nose.
* soupir *
Je vais donc tester pour vous.
… dans une seconde partie à venir 🙂
2 réponses sur « Le tempo d’un succès »
C’est rigolo parce que ces derniers temps je me suis retrouvée à écouter beaucoup de reprises (via une playlist toute faite de Deezer je pense) et j’ai fait le constat inverse (avec beaucoup moins d’expertise néanmoins) : je me suis dit qu’il suffisait de prendre une chanson connue, de la ralentir et hop, on avait un truc chouette (oui, « truc chouette », c’est mon niveau d’expertise).
Franchement, ça marchait très bien sur moi, je m’exclamais « oh, elle est sympa cette reprise », jusqu’à ce que je vois la ficelle et qu’alors ça m’emballe beaucoup moins.
(Ce qui est dommage parce qu’un ficelle c’est pratique pour emballer un paquet.)
Oui, c’est aussi pour cela que j’ai mis la reprise de Catch & Release par Julien Muller, beaucoup plus lente que l’originale. J’y reviens souvent car je la trouve très agréable à écouter 🙂
Il n’y a clairement pas de règle pour définir l’attrait d’une chanson (d’autant que, les goûts et les couleurs etc.), c’est pourquoi je me suis juste focalisé sur ces « tics » que l’on retrouve dans tant de remix. Mais le lent, c’est chouette, oui 🙂