Ca a commencé il y a 2 ans, lorsque le staff de Paris-Web (dont je faisais partie) a décidé de mettre en place « La conférence dont vous êtes le héros« . Pour changer des sempiternelles tables rondes, nous avions décidé de donner un temps de « micro ouvert », où le public pouvait lancer des idées, des débats, se répondre, etc.
De mon côté, j’avais vu peu auparavant un rap de développeurs fait lors d’une autre conférence (JSConf ? Je ne sais plus laquelle #lazyweb). Voyant cette session open-mic se présenter pour l’édition 2010 de PW, je me suis dit « tiens, pourquoi ne pas chanter un truc ? » Je ne sais comment, j’ai très rapidement porté mon choix sur une parodie de « La Lettre » de Renan Luce, avec un premier couplet écrit très facilement dans un widget Netvibes — widget qui porte encore aujourd’hui le titre de « Conférence dont vous êtes le héros ». Je partais de deux idées très simples : convertir le « J’ai reçu une lettre » de Renan Luce en « J’ai reçu un projet », et son « Quelques fautes d’orthographe / Une légère dyslexie / Et en guise de paraphe / ‘Ta petite blonde sexy' » en « Quelques fautes de goût / ‘Intro en Flash’ et puis / Pour parfair’ le dégoût / ‘Compatible IE6′ ». Le reste, plus tard, peut-être.
Et puis non, pas le temps, trop de boulot dans le staff, pas non plus assez de bagou, et finalement tant mieux car ce fut une session de débats et retour sur les conférences de la journée, plutôt qu’une porte ouverte aux délires de chacun.
Édition 2011 de Paris-Web, je suis toujours dans les staff PW et le format « Conférence dont vous êtes le héros » semble trop chaotique pour être maintenu. Arrivent Daniel Glazman et Robin Berjon qui proposent de sélectionner et animer une session de lightning talks, où chaque orateur dispose de 4 minutes pour parler d’un sujet au choix (dans le cadre de la conférence), et pas une seconde de plus. Du coup, une chanson paraît beaucoup mieux avoir sa place dans ce format, et je caresse l’idée, tel Blofeld son chat. Mais je fais encore partie du staff, trop de choses à prévoir, et ça ne se fait finalement pas.
Édition 2012, je ne fais plus partie du staff — officiellement pour « avoir plus de temps pour faire de la musique », mais dans les faits j’ai eu plus de temps pour vivre, tout simplement. Les lightning talks reviennent cette année, et tel le Docteur Mad, je caresse mon chat d’idée. J’évoque le sujet avec une amie, qui me donne l’encouragement nécessaire avec ces mots (je paraphrase) : « t’es malade ». Je rouvre le widget Netvibes, et termine ce premier couplet.
La deadline pour proposer un lightning-talk est le 17 septembre à minuit dernier délai. Ce lundi là, je n’avais rien à faire, donc j’ai rapidement regardé les accords de la chanson, enregistré une vidéo, l’ai mise sur YouTube, et ai envoyé le lien sans plus de détail à Daniel et Robin, à minuit passée de 6 minutes, dans un mail intitulé sobrement « Oh, zut alors, à quelques minutes près ! :p ».
Cette proposition en vidéo, la voici :
Les paroles de l’époque :
J’ai reçu un projet, A rendre pour demain,
Qu’un free a refusé, « Il m’a traité d’radin ».
Quelques fautes de goût, « Intro en flash » et puis,
Ecrit avec bagou : « Compatible IE6 ».
Mais moi je suis un dev Qui veut de la qualité
Et, quand il n’y pas grève, Je viens apprendre à Paris-Web !
J’envoie le lien vers la vidéo, et les laisse se débrouiller avec ça.
Dès le lendemain, je sens que ça discute dans le pôle Orateurs de Paris-Web : Delphine, membre du staff de PW et néanmoins amie, me tweete ceci : « Hé, je ne trouve plus le lien vers tes vœux à l’envers… » Comprendre, « on a bien reçu ta vidéo, moi je sais déjà que tu es fou, mais pour convaincre les autres j’ai besoin de preuves supplémentaires ». [pour rappel, cette vidéo de voeux est ici : http://vimeo.com/19401523 ].
Le 26 septembre, Sébastien, président de Paris-Web et néanmoins ami, me contacte sur GTalk :
Sébastien: Plop? me: Grüüü Sébastien: Juste une question qui te prendra à peine 10 secondes pour y répondre
Ta vidéo pour les lightning talks, c’est bien une vraie proposition ? me: hahaha 🙂
je flippe ma race, mais oui. Sébastien: Parfait, c’est tout ce que je voulais savoir 🙂 me: bien que n’ayant aucune idée si je suis en mesure de boucler la chose, ou même de la jouer devant des gens. Sébastien: va falloir mon grand me: on verra Sébastien: 🙂
on donne des nouvelles bientôt me: le plus tôt le mieux :p Sébastien: Tu peux commencer à plancher dessus dès maintenant :p me: mmmpf
déjà, apprendre à jouer de la guitare
ensuite, cesser d’être bègue.
2014 ?
alleeez 🙂 Sébastien: fallait pas appuyer sur le bouton.
1 semaine par objectif
et ça le fera 🙂 me: je l’ai envoyé après minuit, normalement ma proposition est irrecevable Sébastien: on a décompté le temps d’upload sur Youtube
elle est recevable me: et votre charité chrétienne ?!
haha Sébastien: tsss
bref, c’est donc oui hein ? me: oui oui, j’assume, je ne suis plus à ça près. Sébastien: parfait
😉
C’était donc signé, j’avais moins d’un mois pour finir le texte, et apprendre à jouer correctement la chanson (4 accords, mais avec une certaine rythmique, plus compliquée à garder en chantant). Il me fallait également une guitare électro-acoustique pour que le son passe bien, et je remercie publiquement Cyrièle de m’avoir prêté la sienne — ma propre guitare acoustique n’étant pas aussi moderne.
La fin, vous la connaissez grâce à la photo en tête de cet article : ça s’est fait. Voici une vidéo pirate du concert, en attendant la version pro au montage impeccable de Paris-Web :
Et voici le texte complet (dont le dernier couplet, que je n’ai pas pu chanter sur le coup) :
J’ai reçu un projet, il y a un mois je pense,
J’aurai dû refuser, maladresse de freelance.
Le client dans son mail, écrit en Comic Sans,
Promet monts et merveilles à très courte échéance.
Et moi je suis un dev qui a besoin de ce projet
Pour payer mes rêves à commencer par mon loyer.
(peut-on décaler d’un pixel ?) (comment ça, « logo vectoriel » ?)
Mon client, vieux grigou, a une idée d’génie :
Vente en ligne de ragoûts, option riz ou saucisses,
Quelques fautes de goût, « Intro en flash » et puis,
Écrit avec bagou : « Compatible IE6 ».
Mais moi je suis un dev qui veut fair’ de la qualité
Et, quand il n’y pas grève, Paris-Web m’aide à m’élever !
(HTML standard vivant) (CSS3 la REC pour quand ?)
J’ai choisi d’êt’ freelance, Marre des SSII,
J’habite où j’veux en France, Marre des loyers d’Paris.
Je prépare mon weekend Quand le lead-dev m’écrit :
« Tu fais quoi cette aprèm’ ? » Mise en prod vendredi.
Et moi je suis un dev Qui pleure quand je ne peux pas
Faire tout ce dont je rêve, comme valider sous Opéra !
(ou faire le back-end en Python) (car Ruby c’est bien trop abscons)
(tiens, d’ailleurs !)
Y’a pas que le front-end, il y a aussi le back
Où ‘faut connaître Zend, Symfony et leurs FAQ.
Maîtriser DreamWeaver, Vim, Eclipse, Notepad
Pour planter un serveur, 15 outils, même panade.
Mais moi je suis un dev, qui n’aime pas trop PHP
Pour la faire brève : NodeJS, viens vite me sauver !
(le JS serveur c’est l’av’nir) (un nouveau langage à haïr)
Quant aux métiers graphiques, j’aimerai en parler,
Mais j’avoue, y’a un hic, je n’sais pas dessiner,
J’ajoute ce couplet car Paris-Web les aime,
Allez-y, proposez un’ conf’ l’année prochaine
Je ne suis pas un dev, je suis rédacteur technique
Et, trois journées trop brèves apportent plus qu’un vol yogique.
(pourtant y’en a des rimes en [ik]) (Paléoprotérozoïque)
Voici tous les sujets dont nous allons parler
Pendant ces trois journées de confs et d’ateliers
Ah, pardon, on me dit qu’en fait c’est terminé,
J’pensais passer jeudi, j’pensais improviser.
Faites confiance au gens, et ils vous feront passer
après Stéphane Deschamps, rien d’tel pour ne pas angoisser !
(« faut-il être un entertainer ? ») (l’ironie me frappe en plein coeur)
Un dernier couplet, une dernière minute,
Avant le couperet, la fin en uppercut,
J’ai un peu transpiré, personne ne m’a dit « chut »,
La guitare, pour chanter, c’est quand même mieux qu’la flûte.
Si vous voulez l’ambiance karaoké, voici mes slides : http://fr.slideshare.net/xavierborderie/parisweb-2012leprojet
Je suis passé en dernier, et je remercie très fortement les 9 autres orateurs de ces lightning, grâce auxquels, j’ai ri, applaudi, appris, et surtout oublié que je passais après eux, et ça m’a bien aidé à ne pas me ronger les ongles.
Deux petits plaisirs pendant les heures et minutes précédents mon passage :
À Christophe, découvrant que je fais un lightning en fin d’après-midi et me demandant si j’allais chanter, répondre « noooon, ça va pas, je suis pas taré à ce point ».
À Stéphane, qui passait juste avant moi dans l’ordre des lightnings et qui regrettait ce placement, lui interdisant de chantonner « Dites 33 » à mon intention au début de son lightning, répondre « noooon, ça ne se fait pas de référencer un autre participant dans sa lightning » (la blague étant que je faisais référence à Stéphane à la fin de la mienne).
Après Paris-Web, les participants sont allés au bar d’en face pour parler entre gens de bonne compagnie autour de quelques chopines. Avec quelques fans de base, j’ai attendu le staff à la sortie de la conférence, et nous sommes arrivés longtemps après tout le monde dans le bar. En arrivant sur la terrasse avec la guitare à la main, ovation, « une autre ! », etc. Je ne me suis pas fait prier : montant sur une chaise, j’ai entonné le dernier couplet, très inintéressant mais au moins, c’est fait :
http://www.youtube.com/watch?v=KFzRm4-cti4
Alors on me demande un mp3 en plus du texte complet. Mais de mon point de vue, c’était vraiment un one-shot, avec trop de blagues relatives à Paris-Web, je ne suis pas certain que cela puisse intéresser grand monde en dehors de ce cercle — et surtout je trouve mon final très faible.
Mais je garde en tête d’en écrire une version plus « oecuménique ». Plus tard, peut-être… 🙂
Ce dimanche soir je suis allé aux concerts sous la bannière « Vote on the Rocks », organisés avant tout par Kémar Gulbenkian de No One Is Innocent, et réunissant plusieurs groupes de rock dans l’idée de rappeler que voter est plus que jamais important (dixit Kémar : « voter peut gravement nuire aux sales idées ! »).
Les groupes réunis ne sont pas les moins importants de la scène française, ni les moins politisés :
The Hyènes, projet parallèle de Denis Barthes et Jean-Paul Roy, respectivement ex-batteur et ex-bassiste de Noir Désir ;
Deportivo
Eiffel
No One Is Innocent
Les Fatals Picards
Têtes Raides
C’était tout bonnement excellent : j’y allais principalement pour Eiffel que j’aime beaucoup, mais les prestations de No Is Innocent et surtout Deportivo m’ont enthousiasmé, tout comme ils ont retourné La Cigale avec tout l’esprit d’un bon concert de rock, sueur et hurlements.
Comme il se doit, j’ai filmé quelques titres, et j’ai diffusé aussitôt celui qui reste le plus actuels malgré son âge : L’Iditenté, à l’époque une collaboration entre Têtes Raides et Noir Désir, et ce soir sur scène les Têtes Raides étaient accompagné de Soan (ce me semble) — j’attendais ce titre et me demandait si Bertrand Cantat allait faire une apparition pour l’occasion, étant par ailleurs très proche des Hyènes (forcément) et d’Eiffel. Non, et tant mieux sans doute : les potentiels articles du lendemain auraient surtout parlé de ce « retour » que du message qu’il fallait faire passer.
Mais justement, le message. J’ai annoncé sur Facebook que j’allais à ce concert (je suis beaucoup plus politisé sur Facebook que je ne peux l’être dans la vie ou sur Twitter ; sans doute un besoin de transmettre certains messages à une tranche différente de mon entourage), et j’ai reçu le commentaire suivant :
Mouais, je suis sceptique sur le « ah bah je vais voter parce qu’un chanteur me l’a dit dis donc ». Si le citoyen a besoin de ce détour, c’est inquiétant. Dans l’antiquité « On reconnaissait le citoyen à ce qu’il avait part au culte de la cité, et c’était de cette participation que lui venaient tous ses droits civils et politiques. Renonçait-on au culte, on renonçait aux droits. » dixit le TLF. Maintenant moi jdis ça, jdis rien.
J’ai pris le temps de répondre, et je me suis dit qu’il serait dommage que cela reste confiné aux murs de Facebook. Dont acte :
Il est évident que ceux qui comme moi sont venus à ce concert savaient déjà l’importance de voter avant même de prendre leur place. Moi ni personne d’autre n’est venu pour écouter un chanteur nous conter l’importance de voter aux prochaines élections — même si ce fut le cas, évidemment, mais c’est très accessoire : autant prêcher un convertit.
L’intérêt de réaliser une telle soirée, et d’en faire un succès (la salle était comble, les concerts excellents, le public enthousiaste), c’est de faire parler. Du succès de l’évènement, de l’importance des groupes acceptant de participer, découle une possibilité de faire parler de soi dans les médias, au pire par un court filet annonçant l’évènement, au mieux par des interview, voire des journalistes sur place, et avec de la chance une diffusion demain pendant 15 secondes au journal de 20h. La cible première, ce ne sont pas les spectateurs, ce sont les médias — et à travers eux les non-votants. L’idée, ce n’est pas de prêcher sa paroisse, c’est de faire passer le message aux absents qui ont baissé les bras politiquement mais qui se sentent encore l’âme « rock ».
Un concert caritatif sert rarement à convaincre les spectateurs de changer leurs idées, mais avant tout à ce que les médias parlent dans leurs pages de la cause défendue. Les Solidays, les concerts de Enfoirés, les Tibetan Freedom Concerts, les Live Aid : l’un des principaux objectifs de ces festivals est de dire « N’oubliez pas ! », et de faire en sorte de voir son message repris par les médias, et lu par le plus grand nombre. Telle est notre société, et le jeu qu’il faut jouer.
En 1999, j’étais allé à Amsterdam pour participer au Tibetan Freedom Concert, monté depuis plusieurs années par Adam Yauch des Beastie Boys pour défendre la cause tibétaine, et cette année organisée sur 4 continents. J’y allait bien sûr principalement pour Thom Yorke, chanteur de Radiohead qui faisait un petit set acoustique accompagne de Jonny Greenwood, mais il y avait nombre d’autres excellents groupes à voir (Garbage, Ben Harper, Joe Strummer, Alanis Morisette…).
A la fin du concert, me dirigeant avec mon groupe de fans de Radiohead vers ce qui allait être une nuit compliquée, j’ai croisé une journaliste qui posait des questions aux spectateurs qui ressentaient le besoin d’exprimer leur joie d’avoir pu voir leur groupe préféré. Au moment où je passais, elle posait la question « En quoi pensez vous que ce concert a aidé la cause du Tibet ? » Voyant que les réponses étaient faiblardes et me sentant inspiré, je me suis approché et lui ai dit directement (je paraphrase et idéalise, bien évidemment) « Cela dépend de vous. C’est vous qui aurez un impact sur la cause du Tibet, en fonction de la manière dont vous écrirez votre article sur cet évènement. Quel angle choisirez-vous ? Mentionnerez-vous la cause du Tibet à vos lecteurs ? Ce sont les médias et leurs reportages qui auront un impact, nous nous n’avons fait qu’écouter de la musique. »
Sur le coup je n’étais pas peu fier de moi, et me rappelle m’être éloigné dès ma phrase terminée, ambiance cowboy. Mais de ressortir le même argument presque 15 ans après, je suis content d’être toujours aussi peu dupe sur le rôle des médias. Et je m’arrête là car je me donne l’impression d’être un donneur de leçons.
C’était une excellente soirée avec des très très bons concerts (bien que trop courts, avec des intermèdes trop longs). Et toi qui me lis et qui reste indécis ou a baissé les bras : va voter.