En ce moment je lis (tant bien que mal car trop lentement) Amusing Ourselves to Death, de Neil Postman.
Oui, je le fais un peu après tout le monde — le livre a été publié en 1985. Une seconde édition est parue 20 ans plus tard, en 2005, avec une préface du fils du désormais feu l’auteur, qui écrit « Can such a book possibly have relevance to you and The World of 2006 and beyond? I think you’ve answered your own question. » Et en 2013, ma foi, ça marche toujours.
Pour tout vous dire, la première fois que j’ai entendu clairement parler de ce livre, c’est au travers de ce court récit dessiné par Stuart McMillen, mettant en image les mots Neil Postman. Si vous ne l’avez pas lu, je vous l’invite à le faire, maintenant : c’est très court, et frappant.
Après l’avoir lu, je l’ai ajouté à ma liste Amazon, et il est arrivé chez moi à l’occasion du Secret Santa Reddit pour Noël 2011, accompagné d’une édition de Brave New World de Huxley — une occasion de me replonger dans ce classique.
Sous-titré « Public discourse in the age of show business », ce livre explore la chute dramatique de l’importance du « fond » du discours public, remplacé par l’omniprésence de la forme de ce discours, essentiellement due à l’arrivée de nouveaux médias, et à la globalisation des informations. L’auteur passe une grande partie de ses premières pages à nous conter (d’un point de vue purement américain, bien sûr) la pureté de l’approche de l’information par le public du XIXe siècle : extrêmement locale, purement textuelle, et un public avide d’en savoir plus.
L’un des exemples les plus parlants qu’utilise l’auteur est celui des débats entre Abraham Lincoln et Stephen Douglas : 7 séances dans autant de villes de l’Illinois entre août en octobre 1860, dans le cadre des élections du sénateur de l’état. Le débat fonctionnait ainsi : un candidat parlait 60 minutes, l’autre lui répondait pendant 90 minutes, et le premier candidat avait ensuite droit à 30 minutes de réponse.
Trois heures de débat politique ! Et non seulement les habitants de la région venaient en nombre y assister, mais les journaux du lendemain s’arrachaient littéralement, chacun avec sa retranscription plus ou moins partisane ! Ce n’est même pas concevable aujourd’hui.
Cette déperdition du QI collectif, pourrait-on dire, ne s’est évidemment pas faite en jour, et l’auteur prend le temps d’indiquer les avancées technologiques qui ont mené à ce que nous sommes. Moi qui suis féru d’histoire et plongé dans ce média qu’est Internet, ces chapitres ont été passionnants, au point que j’en partage deux captures sur Instagram (que personne n’a lues, probablement). Permettez-moi de les mettre ici. Et attention chérie, ça va spoiler…
Tout d’abord, la première avancée technologique significative : le morse.
The solution to these problems, [the vast distances and spaces separating American communities from one another in the time of the frontier] as every school child used to know, was electricity. To no one’s surprise, it was an American who found a practical way to put electricity in the service of communication and, in doing so, eliminated the problem of space once and for all. I refer, of course, to Samuel Finley Breese Morse, America’s first true « spaceman. » His telegraph erased state lines, collapsed regions, and, by wrapping the continent in an information grid, created the possibility of a unified American discourse.
But at a considerable cost. For telegraphy did something that Morse did not foresee when he prophesied that telegraphy would make « one neighborhood of the whole country. » It destroyed the prevailing definition of information, and in doing so gave a new meaning to public discourse. Among the few who understood this consequence was Henry David Thoreau who remarked in Walden that « We are in great haste to construct a magnetic telegraph from Maine to Texas; but Maine and Texas, it may be, have nothing important to communicate. . . . We are eager to tunnel under the Atlantic and bring the old world some weeks nearer to the new; but perchance the first news that will leak through into the broad flapping American ear will be that Princess Adelaide has the whooping cough. »
Thoreau, as it turned out, was precisely correct. He grasped that the telegraph would create its own definition of discourse; that it would not only permit but insist upon a conversation between Maine and Texas; and that it would require the content of the conversation to be different from what Typographic Man was accustomed to.
(on notera le petit coucou qui fait plaisir à Thoreau et son livre Walden)
Le deuxième extrait que je veux partager avec vous est plus long (si si!) et sans doute d’un intérêt moins évident, mais il m’a fait le même effet de « waouh, il a raison, dans quel monde vit-on ? »
It may be of some interest to note, in this connection, that the crossword puzzle became a popular form of diversion in America at just that point when the telegraph and the photograph had achieved the transformation of news from functional information to decontextualized fact. This coincidence suggests that the new technologies had turned the age-old problem of information to manage on its head: Where people once sought information to manage the real contexts of their lives, now they had to invent contexts in which otherwise useless information might be put to some apparent use.The crossword puzzle is one such pseudo-context; the cocktail party is another; the radio quiz shows of the 1930’s and the 1940’s and the modern game show are still others; and the ultimate, perhaps, is the wildly successful “Trivial Pursuit.” In one form or another, each of these supplies an answer to the question, “What am I to do with all these disconnected facts?” And in one form or another, the answer is the same: Why not use them for diversion? for entertainment? to amuse yourself, in a game »
Il y aurait tellement plus à dire (surtout que j’en suis rendu à peine plus loin que la moitié du livre), mais je vous invite très fortement à le lire vous-même, et vous faire une idée de ce que les médias actuels, et la manière dont les informations sont digérées avant de nous être servies, nous rapproche à chaque nouveau lointain conflit en spectateurs apathiques. L’ami Kwyxz en fait un bonne critique sur Sens-Critique.
Je dirai bien que je suis content de m’être débarrassé de mon téléviseur l’année dernière, mais au final, j’ai toujours un écran face à moi, et c’est bien lui qui me nourrit de distractions…
(back2blog, jour 8/10)